Aujourd’hui, 7 décembre 2012, j’ai le grand plaisir d'accueillir ici Dominique Hasselmann, tandis qu’il me reçoit sur son blog Le Tourne-à-gauche.
Abolition des distances ? (2/2)
De Simmonds QUANA-LHEINE
à
Nilla BOMORI
Chère Nilla Bomori,
Souvent, lorsque je reçois vos articles,
je pense aux îles Borromées – enfin, trêve de rêveries, venons-en au fait.
Je tiens à vous rassurer tout de
suite : nous sommes dans les temps, et même dans le temps. L’étape
qui nous guette ne nous surprendra pas en sueur et les jambes en coton, comme
si nous escaladions le mont Ventoux sur un vélo, ce que je n’ai jamais tenté
que par poste de télévision interposé, à l’époque où ces distractions
occupaient une partie de l’été de la population française.
Votre étude – j’en fais ici
l’article : elle est forte et imaginative car basée sur le réel – paraîtra
au jour et à l’heure prévus et je crois même qu’elle pourrait être accompagnée
de mes propres réflexions qui viendraient ainsi, comme en miroir, éclairer (si
cela était nécessaire), prolonger (si cela était utile) et ouvrir (si cela
était pertinent) vos vues sur la question qui nous a taraudés : l’abolition
des distances.
Quand ce thème s’est mis à scintiller
dans nos esprits, il s’est imposé comme une évidence presque aveuglante :
certaines phrases ne devraient se lire qu’avec des lunettes de soleil.
Je ne pense pas que l’on puisse cependant
mettre le temps dans la marge. Même sans disposer des capacités
intellectuelles, qui ne furent pas relatives, de certain savant à la langue
bien pendue, il me semble que l’un ne va pas, ne court pas sans l’autre. Le
temps se décale dans le lointain, la distance se rapproche ou file
perpétuellement : le couple satanique est tiraillé par ses envies, ce sont
des frères siamois que l’on ne saurait détacher, au bistouri ou au laser, sans
risque.
La téléportation et l’ubiquité
représentent certes l’une des avant-dernières étapes de l’évolution vers la
disparition de la distance (de l’étendue, de l’espace et donc de l’espace-temps) ;
je l’ai également constaté.
Chacun, à cette époque apparemment bénie
– vous vous en souvenez comme moi – pensait que la science avait vaincu
l’élasticité (en la supprimant) de l’espacement et de l’impossibilité de faire
coïncider une existence avec une autre : on décollait et atterrissait,
sans autre avion que soi-même, avec toute facilité, c’était un jeu d’enfant à
tel point que l’industrie des vidéos games avait disparu instantanément. Et par
cette « transportation » (qui détruisit la SNCF en un clin d’œil), le
miracle ou le mirage des temps différents était supprimé, comme vous le
soulignez avec juste raison.
L’ère numérique était demeurée sur son
erre : plus personne ne lisait d’écrits puisqu’il n’était plus nécessaire
d’en éditer. Chacun était par définition « auteur(e) » et diffusait
tous azimuts ses pensées, son imagination, sa sensibilité qui se mettaient en
forme automatiquement pour pouvoir être saisies par un autre être humain. Votre
concept d’« être ubiquitaire » correspond à merveille avec ces
nouvelles capacités ou performances qui avaient ainsi été accordées, dans une
période strictement limitée à quelques années, aux nouveaux communicants
(« les nouveaux philosophes » ne ressemblaient plus, depuis
longtemps, qu’à une trace de poussière archéologique).
Oui, il est important de mettre le doigt
sur l’alliance de l’écrit, de l’image et du son : mais ces prémisses
« modernes » (en ce temps-là) n’étaient-elles pas justement la
manifestation de leur incomplétude ? Nos sens avaient bougrement progressé
par rapport à ce stade que l’on peut considérer comme infantile, une fois que
nous sommes maintenant parvenus là où nous nous tenons.
« L’imagination prenait simplement
la place de la réalité », écrivez-vous. Oui, la fée du logis avait été
achetée à prix d’or par les successeurs de Walt Disney et chacun portait en lui
une puce du type RFID avec le copyright du célèbre milliardaire.
Les moyens de transport en avaient donc
pris un coup dans l’aile (comme sur l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il y a
bien deux cents ans de cela), ou dans les trains super-rapides à sustentation électromagnétique. Vous mêmes, vous étiez venue à Paris en TGV et m’aviez
confirmé alors la drôle d’impression que cela vous avait produit,
rétroactivement.
Quand vous rappelez dans votre article
les désastres, prévus puis advenus, qui ont bouleversé puis englouti à moitié
la Terre, il est clair qu’un dirigeant doté de pouvoirs surnaturels manquait au
« management » de l’existence humaine. L’hypothèse divine n’en était
sûrement qu’un succédané (véritable « succès damné » à l’époque des
guerres de religions, batailles picrocholines qui nous semblent tellement
dérisoires dans le nouvel univers).
Car Gilgamesh, dont vous citez l’exemple,
ne fut jamais que celui que j’oserai appeler « Uruk Roi », un
fantoche à l’antique cornegidouille, un grand paltoquet qui mit partout la
confusion dans les têtes et dans les corps. Je demeure sceptique quant à votre
allusion à cette figure sumérienne et saumâtre qui vient, dans votre article,
mettre en avant le pantin ex nihilo, le grand manipulateur (dans le genre d’un
Salvardor Dali dont on se gargarisait périodiquement dans notre beau pays),
celui qui tire les ficelles et se prend pour le dieu de l’ubiquité.
Or, je tenais à vous le signifier, seul
Alfred Jarry, un écrivain chu dans l’oubli, est le créateur d’Ubu Roi en
tant que figure à jamais indépassable de l’archétype du monarque, de
l’hiérarque, du potentat, de l’assoiffé de pouvoir & de l’absurde réunis.
Depuis que les œuvres complètes de ce
génie sont dans le domaine public, il suffit de penser à son nom et voilà
qu’elles viennent automatiquement s’inscrire dans votre cerveau. L’abolition des distances (Sophie ne me
contredira pas) est à ce prix qui ne participe même plus de l’ordre littéraire.
Grâce enfin à la créativité de nos
ingénieurs et à l’ingéniosité de nos industriels, le système généralisé de la Transmission de pensée à très haut débit
(TDPATHD) avait pu être mis en place et vous vous souvenez, chère Nilla Bomori,
de la journée d’inauguration à laquelle nous fûmes conviés, vous et moi, en
tant que chercheurs associés, au sommet de la Tour Eiffel toujours debout malgré
les débordements furieux de la Seine tous les ans.
Nous pouvions désormais penser dans la
pensée de l’autre, nous étions presque interchangeables (mais des boutiques
spécialisées savaient nous conserver certains caractères à peu près uniques),
il n’y avait plus de barrières physiques ou mentales entre nous tous.
La distance : nous étions téléportés
– et cela valait mieux qu’une ancienne période historique de wagons et de
départs de trains en gares vers l’Est – et l’on pouvait également se multiplier
(comme les cascades du rire ubuesque), devenir un « soi » différent
mais encore semblable, dans un autre corps, homme, femme, enfant, vivre ainsi
des vies successives et parallèles, se dédoubler à l’infini, ou presque, comme
Orson Welles dans les miroirs de ce très vieux film, La Dame de Shangaï.
Les objets matériels n’étaient plus que
des gadgets que l’on avait mis sous vitrine ou rangé dans des placards :
rien dans les mains, rien dans les poches ! Tout dans la tête, souvenirs,
désirs, espoirs, visions, intelligence et écoute des autres, osmose jusqu’à
parfois en avoir le tournis : mais des « cellules
psychologiques » voisinaient désormais dans notre sang fabriqué avec des
plaquettes artificielles (plus besoin de faire la quête auprès des
automobilistes, comme dans le passé, avec un tronc siglé d’une croix rouge sur
fond blanc).
Si l’on écrivait encore quelques articles
ou quelques livres, c’était un luxe pour bibliophiles attardés – ils s’étaient agrégés
dans une petite association huppée – et ceci explique pourquoi vous m’avez envoyé
votre écrit et pourquoi je vous ai répondu à l’ancienne : pure
nostalgie !
L’autre jour, j’ai remis la main sur une
antique photographie. Ce sont mes grands-parents « paternels », à
tous les sens du mot, dans la cour de leur jardin à Vesoul, en Haute Saône, une
ville qui a été rasée en 2134 par le tsunami causé par la rivière locale, le
Durgeon.
Quand je regarde ce document, je me dis que l’abolition des distances était vraiment un souhait totalement archaïque, à cette époque.
Simmonds QUANA-LHEINE
Cher docteur Sigmmond's
RépondreSupprimerN'oubliez surtout pas la transportation de l'amour, qui malgré le progrès reifié, est toujours là, transmis de génération en génération, comme le montre la sublime photographie de vos aïeuls. C'est sûr, au de la du MOI, il y a ça. Vous êtes un redoutable épistolier, Sig
Et vos anagrammes me téléportent au Tibet, par je-ne-sais-quelle gymnastique cérébrale involontaire chue de lectures obscures.
RépondreSupprimer(je les reçois, l'homme et la femme aux poules qui vi(b)rent sépia sur mon écran)
RépondreSupprimer@ Louise Blau : lettre ou le néant, qui sait...
RépondreSupprimer@ Dominique Autrou : les anagrammes sont une création de ma correspondante.
RépondreSupprimer@ Gilbert Pinna : et ce n'est pas un effet "Instagram" !
RépondreSupprimerL'espace est courbe paraît-il et comme l'espace au temps est lié, le temps lui aussi serait-il dans la courbe ? Le temps flexible. L'éternel retour possible.
RépondreSupprimer@ jeandler : pour Oscar Niemeyer, le temps était dans les courbes, c'est une philosophie à la fois galiléenne et nietzschéenne.
RépondreSupprimerLe texte que vous dictat Sieur Simmonds Quana-Lheine est une véritable inspiraltion.
RépondreSupprimerIl mérite bien des quantiques et même que l'on sable le champagne, le temps d'un œuf cuit dur, autant d'un neuf cuir dru.
Chaque élément important de votre littéraire mission est chargé de multiples facettes qui imposturent les conjonctions fixes confrontées aux articulations que l'imaginaire non libre des lectrices et teurs devront fournir en toute borne foi.
Bravo et gare aux vilains jeux de mots que votre nom pourrait inspirer lors d'un enchainement oral si immonde canal haine serait inélégant, inapproprié et fort injuste. Je m'excuse auprès de Madame Bomori de ces turpitudes qui jaillissent bien malgré moi dans mon esprit. Je vous comprendrais de ne plus vouloir adresser la parole à la bouffonne que je suis, mais n'est-il pas trop tard pour cela, vu l'immédiateté des pensées et de leur communication.
Bien respectueusement,
Madame Zazeg Sigoz
Madame Zazeg, la lecture à haute voix en le gueuloir a donc manqué aux anagrammes, et vous voilà, voyant ce que d'autres ne voient pas... entendant ce que ...
SupprimerSe méfier des anagrammes qui malgré la légèreté de leur nom, comportent à l'occasion leur petit pois d'irrévérence pour qui comme moi [comme Madame Bloom, qui me connait plutôt bien, n'est pas sans ignorer] est possédé/e par un esprit fichtrement contourné, détourné, rempli de trou/s/badours.
RépondreSupprimerMes salutations gaies et distinctes à Dame Bov... euh... Beau ma... Bomori
Madame Zazeg Sigoz